Introduction
Les TSHM ont différents objectifs généraux qui visent à soutenir les jeunes en situation de vulnérabilité et les accompagner dans leur processus d’inscription au sein de la collectivité. Pour pouvoir mener à bien ces objectifs généraux, Les TSHM ont divers outils de travail à disposition. Dans le cadre de notre enquête, nous nous sommes spécifiquement centrés sur l’outil de la tournée de rue, appelée « tournée HBU » au sein de l’équipe BUPP. Cette tournée permet une présence régulière auprès de jeunes dans l’espace public et ceci sur une diversité de territoires.
Pour ce travail, nous avons accompagné deux TSHM et nous nous sommes immergés directement dans le quotidien de ces tournées.
Ces observations directes de l’activité des professionnels nous ont permis de faire une analyse fine des savoir-faire mis en œuvre lors de ces moments de présence sur le terrain que fréquentent certains jeunes. Pour effectuer ce repérage des actions, mais aussi des postures adoptées par ces professionnels expérimentés, nous nous sommes appuyés sur la typologie des pratiques proposée par le référentiel du travail social hors murs (Plateforme romande des TSHM, 2017)
Afin de faciliter le cheminement de notre analyse dans cette partie du site, nous vous proposons pour chaque situation des séquences d’intervention de rue des TSHM, suivies d’une analyse visant à mettre en lumière ces savoir-faire.
Les lieux fréquemment visités lors des tournées :












« En route! »
Place de Confignon
« La pratique de l’humour »
Nous nous donnons rendez-vous mardi 17 octobre 2017 au Forum de Bernex pour 16h00. Florian et Mourad (TSHM) nous attendent devant ce lieu. A côté d’eux est parqué le bus du BUPP. Nous partons dans un premier temps pour Bernex, en direction d’une place publique qui est souvent fréquentée par des jeunes du Cycle de Vuillonnex. Sur le chemin, nous apercevons le « SAS » (lieu d’accueil libre du BUPP). Puis, nous arrivons sur la place ; il y a un groupe de jeunes assis sur les bancs. Nous nous arrêtons, nous descendons tous du bus et nous nous approchons d’eux. Florian engage la discussion en leur disant « bonjour », puis enchaîne directement avec de l’humour : « Vous inquiétez pas, on est pas des flics ! » Les jeunes rigolent. En fait, il s’avère qu’ils ne connaissent qu’approximativement le BUPP : « comment ça se fait que vous ne nous connaissez pas (Haha) ? » dit Florian.
« Etre le tiers liant, de l’individuel au collectif»
Le TSMH leur explique donc les principes du BUPP et il présente les lieux qu’ils peuvent fréquenter (LAL, LGA, Salle de sport…) : « il y a des salles de sport qui sont mises à dispo le dimanche et aussi le mercredi et le vendredi, y a plein de gens qui viennent de tous les âges (…) il y a aussi le local d’accueil libre ici à Bernex, (..) et si vous avez des projets on peut aussi vous prêtez des locaux, (…) enfin voilà ! si vous avez une demande quelconque on est là ! ».
« L’observation et le dialogue»
Puis il leur demande leurs âges et l’école qu’ils fréquentent : « Vous êtes dans quelle école ? Au Cycle de Vuillonnex ? Vous devez avoir 12-13 ans vous ? (Haha) ». Les jeunes répondent : « Ouais, on a à peu près cet âge ». Chacun donne son âge exact, sauf un. Florian l’interpelle (en le désignant de la main) : « Et toi là derrière, t’as quel âge ? » il répond « 10 ans » de façon ironique. Les jeunes et Florian rigolent. Finalement, il dit son âge au TSHM qui était le même que la plupart des jeunes du groupe.
« Savoir quand se retirer »
Nous quittons le groupe pour nous rediriger vers le bus. En entrant dans le bus, Florian nous dit : « Tu vois directement quand tu leur fais chier ! de toute manière, ils te le font comprendre ou tu le sens, du coup, tu te retires »

Analyse de la situation :
La pratique de l’humour :
Le TSHM, dans ce passage se base bien sur le principe de libre adhésion, car il s’agit d’une rencontre informelle dans l’espace public. En utilisant sa propre expérience, comme par exemple la pratique de l’humour, le TSHM va, par ce biais, tenter de créer du lien dans une première approche. Il va ainsi mettre les jeunes en confiance, pour ensuite les taquiner, afin de découvrir ou conforter la connaissance de l’existence et du travail du BUPP.
Etre le tiers liant, de l’individuel au collectif :
Dans ce passage, il est question de proposer aux jeunes une accessibilité, toujours sans condition, à des lieux susceptibles de leur permettre de prévenir l’isolement social. Par cette action, le TSHM se veut être un « tiers liant » entre individuel et collectif. En orientant les personnes dans l’aide à l’accès de structures diverses, il est possible que cet axe d’intervention débouche sur une action plus globale, à savoir un maintien du lien avec certains jeunes au travers d’actions supports, tels que le sport ou des événements à organiser.
L’observation et le dialogue :
Le TSHM, grâce à sa présence de rue, effectue de manière consciente et assez systématique une observation de la réalité sociale, dans un temps et un lieu donné ; il reste attentif, au travers de sa parole et de son regard, à tout un chacun. L’extrait de l’intervention nous montre qu’au travers des discussions et des échanges, il utilise à nouveau son expérience pour ne pas être dans un mode de communication « action-réaction ».
Savoir quand se retirer :
Tout en observant les groupes et leur dynamique, le TSHM sait adapter la durée de l’intervention, sent quand il doit se retirer ; c’est en ce sens qu’il nous paraît approprié de parler d’intervention sur mesure. Le processus relationnel qu’il construit avec les jeunes est ainsi semé des ces jalons posés lors des différentes rencontres.
Tivoli
« Orientation, aiguillage et insertion socio-professionnel »
Nous arrivons à Tivoli au Petit Lancy, il est 22h30 et nous parquons le bus du BUPP devant l’école primaire. En marchant, Mourad nous explique que ce lieu est plutôt un ancien « spot », mais que cela fait quelques années que les jeunes n’y trainent plus trop. Cependant, les professionnels continuent d’y passer durant les tournées. Ce soir-là, nous tombons sur un groupe de jeunes hommes, qui, à ce moment-là était en train de fumer un joint. Nous nous arrêtons, les TSHM connaissent les jeunes et engagent la discussion. Au fil du dialogue, Mourad demande à l’un d’entre eux : « Sinon tu fais quoi maintenant ? Tu taffes ? », le jeune répond : « Non là je fais rien, j’ai fini mon apprentissage là ! Je cherche un taffe. » Mourad rebondit : « mais ils recherchent beaucoup dans cette branche. Tu peux t’inscrire dans les boîtes intérim, je pense que tu peux assez rapidement trouver ». Le jeune : « ouais mais en vrai je cherche même pas là ha ha ! » Mourad : « mais tu sais quoi, passe-moi ton numéro, comme ça si j’ai des petits jobs de peinture pour le BUPP je t’appelle, et si tu veux vraiment commencer à chercher tu m’envoies un message et on regarde avec les permanences pour ton CV et Cap emploi ». Le jeune homme acquiesce et lui passe son numéro. Après cette discussion nous remontons dans le bus et reprenons la route.
Analyse de la situation :
« Orientation, aiguillage et insertion socio-professionnelle » :
Dans ce passage, le TSHM par son engagement et sa connaissance des jeunes va, au travers de son action, mobiliser et conscientiser un jeune en particulier autour de sa situation et d’un éventuel soutien socio-professionnel. Afin que ce dernier puisse retrouver la dignité et l’estime de lui-même, il lui propose une aide concrète pour l’aiguiller dans sa recherche d’emploi. Il se positionne ainsi comme facilitateur et personne ressource, tout en respectant la liberté de la personne.
Tabac 7/7
« Etre une personne ressource, accompagner dans un projet »
Nous arrivons en bas du bâtiment Implenia plus précisément au Tabac 7/7 , nous croisons une bande de jeunes. Mourad leur demande s’ils vont bien. Ceux-ci répondent que oui. Puis, Mourad, prend un des jeunes et se met de coté pour parler avec lui. Mourad : « Alors pour le local ? » le jeune répond : « Ça avance, on a parlé du budget. Ça commence à avancer. » Mourad : « Ok, mais tu sais que c’est un gars de Lancy qui doit signer ? Après vous gérez comme vous voulez. Mais le fait d’habiter sur la commune permettrait la gratuité de la salle. » Le jeune rebondit : « Ah ouais, ça veut dire que je vais devoir signer et être moi le responsable ? » Mourad : « Oui, c’est exactement ça. » le jeune : « Ouais, parce que là, ça commence à être galère les dimanches. On doit à chaque fois aller à la Jonction avec tout le matériel et en plus de ça on doit payer. » Mourad : « Ouais, je comprends, je vais contacter le gars qui s’occupe du local pour voir si vous pouvez y avoir accès, vu que les autres n’y vont plus. Le jeunes : « Ok. C’est super. On peut discuter stp ? » De là, ils s’éloignent du groupe pour parler. Et nous nous retirons afin de les laisser discuter entre eux. Nous n’avons pas pu connaître le contenu de cet échange.
Analyse de la situation :
« Être une personne ressource, accompagner dans un projet »:
Le TSHM va mobiliser ceux qui n’ont pas l’habitude de la participation, en mettant en confiance les personnes : il s’agit de favoriser l’émergence d’une demande, mais surtout de donner les moyens de mettre en place et de suivre le projet. En cela, les conseils du TSHM concernant l’aspect administratif s’avèrent nécessaires, car il formalise les rapport entre les partis, dans le cas présent entre la commune et les jeunes ; ce « tiers liant » s’appuie sur des individualités pour construire une action collective.
Louis Bertrand
« Inscrire la relation dans le temps »
Nous arrivons ce mercredi en fin de journée au Parc Louis Bertrand. Florian et Mourad aperçoivent un groupe de jeunes assis sur un banc, ils ont entre 22 et 25 ans selon les dires des TSHM. Nous descendons du bus, leur serrons la main et Florian engage la discussion, c’est une discussion de retrouvaille : « Alors, ça raconte quoi ? » s’exclame Florian. Un jeune : « Ouais toujours la même fatigue du taf ». Florian répond : Tu travailles où maintenant ? », le jeune répond : « Sur un chantier à Meyrin ». Florian : » Ca marche ! Courage ! » Florian se tourne vers un autre jeune et lui dit : « Et toi t’es toujours dans la boxe ». Le jeune : « Ouais ouais clairement ». Florian : « Cool ! Continue ! », il salue le groupe et nous nous en allons. En nous éloignant, les TSHM nous expliquent qu’ils les avaient rencontrés plus jeunes, quand ils étaient un peu « caïds » et que désormais, tous avaient une situation stable avec des études ou un métier.
« Reconnaissance par les pairs »
En se dirigeant vers le bus nous apercevons un groupe de jeune âgées d’environs 12 ans, installés sur un but de foot. Nous les saluons de loin et remontons dans le bus.
Analyse de la situation :
Inscrire la relation dans le temps :
Dans cet extrait, on se rend compte de l’importance du maintien du lien qui a été créé depuis de nombreuses années. Par son écoute attentionnée et empathique, le TSHM observe et évalue la situation des jeunes. Il prend appui sur ces liens pour leur redonner du pouvoir agir, car ces « anciens caïds », qui tous ont trouver une stabilité, peuvent à leur tour être un moyen de prévention par les pairs.
Reconnaissance par les pairs :
Conclusion
Notre recherche a permis de mettre en lumière les compétences des TSHM lors de tournées de rue et la manière dont ils les agencent dans des situations données ; notre analyse dévoile le fait que ce ne sont pas de simples balades, agrémentées de rencontres au hasard avec des jeunes dans l’espace public. Ce qui ressort, au niveau de l’analyse des récits montrent toute la complexité des composantes du métier de travailleur social hors mur. Ces professionnels opèrent minutieusement, en apportant leur expertise, une pensée systémique et leur savoir-faire en fonction de chaque situation singulière rencontrée lors des tournées HBU.
Au terme de ce travail, il peut être utile de rappeler qu’à Genève les TSHM se sont appelés « hors murs, non pas seulement par le fait de leur présence dans la rue, mais parce qu’ils voulaient toucher les jeunes qui étaient hors des institutions. Il est important de retenir que la tournée de rue n’est pas un objectif en soi, mais un outil qui permet de créer du lien et de proposer aux jeunes par la suite d’autres dispositifs d’accompagnement. En effet, si la seule fonction des TSHM étaient réduite aux tournées de rue, elle s’apparenterait à celle des agents de contrôle des jeunes dans l’espace public et ils n’auraient dès lors pas de marge de manœuvre afin pouvoir soutenir les jeunes en situation de vulnérabilité, en leur permettant de trouver ou de retrouver une place reconnue et valorisée au sein la collectivité.
Bibliographie :
Plateforme romande du travail social hors murs. (2017). « Référentiel » du travail social hors murs, dire les pratiques pour mettre en lumière collectivement un savoir-faire professionnel. Genève : Slatkine.
Réalisation :
Cattafi Théo (HETS-GE), Hug Charlène (HES-SO Valais/Wallis), Linder De Oliveira Laura (HETS-GE), Mutondo Anaïs (HETS-GE).