Introduction
Le parc Louis-Bertrand se situe à Genève dans la Commune du Lancy, plus précisément entre l’avenue du petit Lancy et celle de Louis-Bertrand. Bordé d’habitations, d’une école (Petit Lancy), d’un Établissement Médico-Social (EMS) et d’une institution pour les personnes en situation de handicap, cet espace de rencontre regroupe une population éclectique : familles, personnes en situation de handicap, personnes âgées, adolescents ou travailleurs.

Néanmoins, selon « Le Lancéen », récemment, en raison du vieillissement et de la dégradation des infrastructures, le parc ne répondait plus aux attentes des habitants. Sa fréquentation a ainsi fortement diminué. En effet, les éclairages insuffisants provoquant un sentiment d’insécurité, les jeux d’enfants et les cheminements dégradés ont altéré la jouissance du lieu. C’est pourquoi, en 2015, le projet de réaménagement du parc a été lancé.
Un espace familial constitué de jeux pour enfant, d’échecs géants, de terrains de pétanque et de tables de ping-pong sera agencé. Les chemins seront adaptés à tous les utilisateurs notamment aux personnes à mobilité réduite. Un skate plaza fera le plaisir des amateurs de glisse. De plus, les éclairages du parc seront renouvellés pour renforcer le sentiment de sécurité. Enfin, un coin végétal avec son propre biotope sera créé.
Le parc Louis-Bertrand semble alors être un véritable lieu de rencontre mélangeant beaucoup de populations différentes au travers de leur utilisation diverse du lieu. Cet article se consacre à la vie du Parc-Louis Bertrand en s’intéressant plus particulièrement aux avis de ses utilisateurs. Pour recueillir nos données, nous avons procédé à l’aide d’une technique journalistique : le micro-trottoir. Nous interrogions les passants à l’aide de trois questions ouvertes :
- Quelle était votre utilisation du parc avant les travaux ?
- Quelles sont vos attentes après les travaux ?
- Quelle est votre représentation et votre rapport avec les jeunes dans le quartier ?
- La dernière question a été adaptée pour les jeunes de la manière suivante : quel rapport entretenez-vous avec les habitants du quartier ?
Afin d’analyser les matériaux récoltés sur le terrain, nous nous sommes basés sur la recherche du Laboratoire de Sociologie Urbaine et de l’École Polytechnique Fédérale de Lausanne sur les manières d’apprécier son environnement de vie.






Cadre d'analyse
Le laboratoire de sociologie urbaine et l’École Polytechnique Fédérale de Lausanne, ont mené une étude en 2011 dans l’agglomération franco-valdo-genevoise afin d’enquêter sur les choix et aspirations résidentiels et modes de vie. La recherche a démontré qu’il existe plusieurs manières d’apprécier son environnement. En effet, elle relève sept manières de le concevoir et de le considérer comme satisfaisant.
Ces sept manières d’appréhender l’espace peuvent se concentrer en trois axes d’analyse :
- Le premier axe se définit comme la « qualité sensible ». Il est relatif au sentiment d’aisance (attraction/répulsion) de chacun. Les caractéristiques le composant sont liées directement à la sensibilité de chacun, par exemple un rapport fort à la nature ou un certain attrait pour « l’ancien ». Aussi, la morphologie du territoire et du bâti joue un rôle prépondérant dans le ressenti qu’il induit (espace confiné, urbain ; grand espace vert).
Ces différents attraits laissent à penser qu’ils seraient la résultante d’expériences antérieures positives ou négatives ayant construit le goût actuel d’une personne, la mettant ainsi à l’aise dans certaines situations et certains types d’environnement et mal à l’aise dans d’autres.
- Le deuxième axe est la « qualité sociale ». Il se rapporte au rapport direct à autrui dans un espace (présence de vie associative, voisinage convivial, quartier animé, etc.). Quant au bâti, il se doit d’être accessible et la présence d’espaces intermédiaires, où la rencontre et le partage peuvent avoir lieu, est essentiel.
- Enfin, le troisième axe, la « qualité fonctionnelle » fait référence à l’aspect pratique des activités quotidiennes (rapport à la mobilité, accès au transport, etc.). Les caractéristiques de cette qualité sont très liées à l’organisation du bâti (proximité d’infrastructures utiles).
Ce schéma illustre la présence dans un même espace des trois dimensions d’appréciation. Nous pouvons remarquer sur la gauche, la présence d’un skatepark, qui pour ses utilisateurs peut refléter l’aspect fonctionnel de leur rapport au lieu.
L’étang sur la droite, représente un espace naturel souvent assimilé à la tranquillité. Ce côté-là illustrerait donc la qualité sensible pour les personnes venant s’y ressourcer.
Au premier plan, nous définirons l’usage des deux personnes assises ensemble sur le banc comme ayant une fonction sociale.
Cependant, attention à ne pas tirer de conclusions hâtives ! Une analyse complète demande plus qu’une observation pour comprendre l’utilisation d’un espace. Ces trois espaces distingués ci-dessus pourraient tout à fait être inter-changés en fonction de la sensibilité, de l’utilisation matérielle et du réseau social d’autres personnes.
Durant les mois de septembre à novembre 2017, nous nous sommes baladés dans le parc Louis Bertrand et avons rencontré ses différents utilisateurs.
Nous vous invitons maintenant à tenter de repérer la/les qualité(s) vous apparaissant dans chacun des témoignages que nous avons recueillis autour du parc Louis-Bertrand.

Les aînés
Monsieur et Madame G.
« Le parc a dégénéré en repaire de deal entre la mare et la butte. »
Mardi matin, nous apercevons au loin des grands-parents avec leurs petits enfants. Comme ils n’ont pas l’air pressés, nous en profitons pour les questionner au sujet du parc. Il nous raconte qu’ils aimaient beaucoup y venir afin de jouer avec leurs enfants. Ces derniers appréciaient particulièrement la toile d’araignée, rebaptisée « la montagne aux singes ». Plus tard, ils n’utilisaient plus vraiment le parc. En effet, leurs enfants étaient devenus trop grands et « le parc a dégénéré en repaire de deal entre la mare et la butte ». Nous leur demandons alors s’ils se réjouissent de la fin des travaux pour leurs petits-enfants. Les grands-parents nous avouent qu’ils préfèrent se balader dans la nature plutôt que de regarder les enfants jouer sur une place de jeux.
Madame V.
« Ce parc, je ne lui trouve rien, je préfère encore me promener dans le parc du cimetière qui est plus grand et plus beau. »
Les parents
Madame C.
« C’est pas des emmerdeurs, des casseurs. Ils font leur deal à eux. Ils n’embêtent personne tant qu’ils sont entre eux (…) Des fumeurs d’herbe, on en voit tout le temps et il y en aura toujours. Moi ça ne me dérange pas. J’ai été jeune aussi (rire). »
Mercredi, par une journée ensoleillée, la tranquillité du parc est troublée par les travaux de rénovation. Une femme promène son chien. Elle nous a déjà repéré. Elle nous interpelle et nous questionne sur notre présence récurrente aux alentours. Comme elle semble ouverte à la discussion, nous en profitons pour l’interroger au sujet de son rapport au parc.
Elle est nostalgique des moments passés à la buvette et se questionne pour la suite. Elle apprécie ce parc car c’est un lieu de rencontre important du quartier et nous expose également son regard sur les aménagements futurs.
À propos des jeunes qui occupent régulièrement le parc, elle nous explique le rapport qu’elle entretient avec eux.
Madame P.
« Il y avait de l’urine sur les toboggans et du verre cassé par terre. »
Puis, nous rencontrons une dame avec ses enfants sur le chemin de l’école. Lorsque nous commençons à lui demander son avis sur le parc, elle devient mal à l’aise et nous explique qu’elle n’apprécie pas cet endroit pour plusieurs raisons.
Elle passe tous les jours dans ce parc en allant chercher ses enfants à l’école. Auparavant, elle y restait deux à trois fois par semaine après l’école et y venait régulièrement les week-ends. Ses enfants aiment beaucoup ce parc. Malheureusement, elle le trouve dangereux et sale.
Monsieur B.
« J’espère que le parc sera adapté pour les jeunes et qu’il y aura beaucoup de verdure. »
Ensuite, un papa nous confie qu’il utilisait le parc avant les travaux pour en profiter avec ses 3 enfants.
En ce qui concerne les jeunes il n’a aucun contact avec eux. Ils pensent que ces derniers vont à d’autres endroits moins « boring » (ennuyeux) au centre-ville de Genève, comme à la Jonction.
Madame E.
« Je serai contente de venir un moment au parc après mon cours de musique. »
Enfin au local à vélo à côté de l’école, une dame avec sa fille nous explique qu’elle n’utilise pas le parc pour le moment, mais qu’elle passe devant pour amener sa fille à son cours de musique. Néanmoins, elle se réjouit de la fin des travaux pour y passer un moment.
Les jeunes
Groupe de jeunes
« Nous on aimerait bien des bancs pour se poser. »
Lundi, nous nous promenons dans le parc cette fois-ci en fin de journée afin de rencontrer des jeunes. Un groupe d’environ une dizaine de jeunes âgés entre 18 et 24 ans occupe les bancs du terrain de basket. À première vue, un tel groupe peut paraître impressionnant, mais une fois la discussion engagée, nous remarquons que les jeunes sont sympas et très ouverts.
Un deuxième groupe, cette fois plus jeune, 16-18 ans, nous rejoint, certainement par curiosité. Ils nous racontent qu’ils viennent au parc tous les soirs ou après-midi afin de se rencontrer entre amis. Après les travaux, ils nous confient désirer plus d’endroits avec beaucoup de bancs pour se « poser ». Concernant la cohabitation avec les autres usagers du parc, ils nous disent « qu’elle n’a jamais posé de problème ».
Jeune homme
« Nous on voulait pas qu’ils cassent, on voulait qu’ils laissent comme avant. »
Puis un jeune du quartier nous parle de sa vision du parc et de son utilisation. Il semble nostalgique quant aux bons moments vécus dans ce parc. Il nous parle également des changements qui ont eu lieu depuis que les travaux sont en cours et de ses interrogations pour le futur du lieu.
Un jeune habitant du quartier
« Les jeux ne seront jamais aussi bien qu’avant. »
Un jeune adulte, habitant à côté du parc, nous raconte qu’il l’a découvert quand il était encore petit. Il venait auparavant de Confignon et s’était rendu au Petit-lancy car le cirque s’était déplacé, cette année là, dans cette commune. Il en avait profité pour s’amuser sur l’air de jeux avec ses parents. Le grand toboggan reste son meilleur souvenir. Ce dernier lui avait tellement plu qu’il revenait régulièrement en trottinette tout seul pour en profiter. Aujourd’hui, il réside à côté du parc, mais ne l’utilise plus. Il regrette que les jeux d’enfants aient été démolis, pour lui ils ne seront jamais aussi bien qu’avant.





Les professionnels
Educateur de Clair-Bois
« Lorsque les jeunes sont sur les bancs en dessus des chambres et qu’on leur demande de s’enlever, ils le font sans problème et quand on occupe le terrain de basket et qu’ils sont là, ça se passe bien aussi. »
Mardi matin, devant l’entré de Clair-bois, un éducateur consacre un temps de sa pause de 9 h pour répondre à nos quelques questions. Il nous explique que grâce aux rénovations, les différentes structures du parc seront accessibles aux personnes à mobilité réduite et que cette innovation s’est pensée en réseau en amont de la construction.
Concierge
Aux abords de l’école primaire du Petit-Lancy la concierge s’exclame :
« Les jeunes sont sympas, mais ils ne connaissent pas les poubelles. »
Avant les travaux, cette femme appréciait se rendre à la buvette pour prendre l’apéro avec ses amies. Elle trouvait l’ambiance “sympa et animée”. Néanmoins, elle nous confie avec regret avoir retrouvé des seringues dans certains recoins du parc. Elle ajoute que plusieurs parents interdisaient leurs enfants d’aller y jouer à cause de la présence intimidante des jeunes.
Après les travaux, elle espère de nombreux jeux pour enfants notamment la célèbre “toile d’araignée”. Cependant, elle révèle plusieurs craintes. Le nouveau skate plaza pourrait entraîner l’arrivée massive de jeunes d’autres quartiers et engendrer des “bagarres de territoire”. De plus, elle se soucie du bruit engendré par ce lieu de glisse. La présence de recoins propices à des consommations de drogues dures lui font aussi soucis. Elle termine en insistant être impatiente de la réouverture de la buvette.
Police municipale
« Il y a différents types de jeunes, il ne faut pas tous les mettre dans le même panier. »
Nous confie un agent de la police municipale du Petit-Lancy devant l’école. En effet, certains jeunes respectent les règles, d’autres moins. Il relève une différence de rapport avec les jeunes selon le moment de la journée. Ces derniers ne posent pas de gros problème. Les habitants se plaignent surtout du bruit et des déchets qui traînent.
Le policier appréhende les conséquences sonores engendrées par un dispositif tel que ce nouveau skate plaza et imagine déjà les plaintes du voisinage. D’ailleurs, il a déjà vu ce phénomène se produire dans la commune de Plainpalais. Il ajoute qu’ils pensent que les jeunes du terrain de basket vont se déplacer vers le skate plaza produisant plus de bruit pour les habitations aux alentours.
Travailleur social hors-murs du BUPP
« Les jeunes du parc sont plutôt cools et ne posent pas de gros problème. »
Sous un ciel pluvieux, nous rencontrons Florian, travailleur social hors-murs du BUPP sur son lieu de travail. Nous avons décidé de prévoir un entretien afin d’en savoir plus sur les jeunes du parc. Florian nous raconte alors que depuis toujours le parc est fréquenté par beaucoup de jeunes âgés entre 12 et 25 ans. Son rôle en tant que TSHM est d’aller à leur rencontre pour les aider à affronter divers problèmes liés à la transition juvénile. Contrairement à ce que pensent souvent les habitants, il n’est pas là pour faire de la répression (exemple : empêcher les jeunes de boire ou fumer). Il nous raconte que les habitants se plaignent fréquemment du bruit que les jeunes génèrent ou des déchets qu’ils laissent traîner. De plus, certains habitants, impressionnés par leur nombre, ressentent parfois un sentiment d’insécurité. Florian s’efforce alors de déconstruire la peur et l’image des jeunes perçue par la population environnante. Il essaye également d’aider les jeunes à réfléchir quant à l’images qu’ils véhiculent.
Pour conclure notre enquête, nous avons revu Florian. Il nous donne dans l’audio qui suit sa représentation des jeunes, nous parle de son rapport professionnel au parc et du travail collaboratif concernant le réaménagement du parc, mais aussi de la gestion prévue du skate plaza :
Synthèse
Pour conclure, nous avons analysé les dires des acteurs interviewés pour tenter de mieux comprendre leur rapport au parc. Comme vous avez peut-être remarquer à travers les récits de chacun, certains traits d’appréciation ressortent plus clairement en fonction des catégories que nous avons faites. Nous avons pour cela analysé leur réponse selon deux axes, transversale (utilisation) et longitudinale (rapport au temps).
Transversale: sensible/sociale/fonctionnelle
Les aînés paraissent plus attentifs au sensible. En effet, dans leur discours transparaît une forte référence à leur ressenti sensoriel au lieu. Avec leur expérience, ils ont connaissance de différents lieux, ce qui construit des critères d’appréciation plus clairs. Ainsi, beaucoup d’entre eux ont fait référence à un autre endroit qu’ils fréquentent plus volontiers que le parc Louis Bertrand.
Les parents semblent vivre le lieu au travers de leurs enfants. En effet, l’aspect fonctionnel, par les infrastructures dédiées aux enfants, ressort principalement dans chacun de leurs discours. Peu de parents nous ont réellement parlé de leur propre utilisation et ressenti.
L’aspect social paraît prévaloir dans les propos des jeunes. Effectivement, le parc est considéré comme un prétexte au regroupement entre « potes ». Malgré les travaux et l’environnement peu accueillant, ces derniers continuent à se réunir en ce lieu.
Cependant, la transformation engendrée par le réaménagement atteint la sensibilité des jeunes du fait des souvenirs qu’ils gardent du lieu.
Les professionnels autour du parc ont un rapport plus pratique, du fait de leur utilisation plus sporadique.
Longitudinale: avant/pendant/après les travaux
Concernant l’évolution du parc, nous ressortons plusieurs tendances. De nombreux acteurs de différentes catégories nous ont partagé leurs regrets par rapport à la transformation du parc. Malgré la réputation insalubre et l’insécurité de celui-ci, nous avons décelé un certain attachement de la part des usagers.
L’utilisation actuelle du parc est très entravée par les travaux de réaménagement pour l’ensemble des acteurs même si cela parait moins marquant pour les jeunes, certains nous ont quand même partagé qu’ils allaient désormais plus régulièrement un peu plus loin dans le quartier.
Les nouvelles installations questionnent et engendrent des craintes chez de nombreux protagonistes. Ils appréhendent de ne pas retrouver ce qu’ils appréciaient du parc « d’avant ». Ils ont néanmoins tous de multiples attentes matérielles, mais questionnent aussi l’activité sociale qui serra plus ou moins présente dans le parc.
Bibliographie
- Plateforme romande du travail social hors murs. (2017). « Référentiel » du travail social hors murs, dire les pratiques pour mettre en lumière collectivement un savoir-faire professionnel. Genève : Slatkine.
- Becquet, V. (2012). Les « jeunes vulnérables » : essai de définition. France : Presses de Sciences Po (P.F.N.S.P)
- Paugam, S. (2014). Intégration et inégalités : deux regards sociologiques à conjuguer .France : puf
- Sennett, R. (2012). Ensemble, pour une éthique de la coopération. Paris : Albin Michel.
- Thomas, M-P. & Pattaroni, L. (2012). Choix résidentiels et différenciation des modes de vie des familles de classes moyennes. Lausanne : EPFL ENAC INTER LASUR
Réalisation
Charlotte Geiger (HETS-FR), Eve-Marie Petit (HETS-FR), Hugo Phelouzat (HETS-GE), Mérette Yerly (HETS-FR)